Laura Nsafou
Laura Nsafou
Vahina Alliat Dupâquier, 3e1
Laura Nsafou
Laura Nsafou est une autrice française de livres pour enfants et de littérature jeunesse en général. Elle a écrit des livres incroyables, par exemple « Comme un million de papillons noirs » (Éditeur Cambourakis, 2018), qui parle d’Adé, une petite fille qui souffre à cause de ses cheveux différents de ceux de ses camarades de classe ; « Le chemin de Jada » (Éditeur Cambourakis, 2020), qui raconte l’histoire de Jada et de sa soeur, Iris, et aborde le thème du colorisme ; ou encore la merveilleuse trilogie de fantasy « Nos jours brûlés » (Éditeur Albin Michel, 2021), qui met en scène Elikia, une jeune femme qui se retrouve en plein milieu des conflits entre divinités dans l’objectif de ramener le soleil (qui a disparu dans le monde où elle vit, au cours de l’année 2049).
Nous avons reçu Laura Nsafou au Lycée dans le cadre d’une discussion sur les discriminations et la représentation de soi, qui concernait les CM1, les 6e et les 4e. Elle est également passée faire des interventions chez les Maternelles, autour justement de son livre “Comme un million de papillons noirs”. Les professeurs de Maternelle ont aussi organisé un projet de représentation photographique, dont l’objectif était d’afficher des photos des cheveux de ceux qui ont décidé d’envoyer.
Voici un extrait de son interview, qui a très malheureusement été écourtée pour des raisons techniques :
Journaliste: En récapitulant, vous vous appelez Laura Nsafou, vJournaliste : Dans votre blog, il y a aussi une phrase incroyable en introduction: « Écrire. Pour qu’il ne soit plus possible de dire encore une fois : je ne savais pas. »
Laura N. : Oui, alors cette phrase, tout le monde pense que c’est moi, mais elle est pas de moi, j’aurais même bien aimé. Elle est de l’auteur sudafricain André Brink, qui en fait a écrit un grand roman qui s'appelle « Une saison blanche et sèche », qui dénonçait l’appartheid. Et c’est un auteur qui disait qu’il écrivait pendant que d’autres pays faisaient semblant de ne pas savoir qu’il y avait l’appartheid. Et en fait, quand on donne au lecteur un texte, on rentre dans sa réalité. Donc il ne peut plus nier ensuite que non, il ne savait pas qu’il se passait des horreurs, des atrocités. Et je pense que c’est à ça que sert aussi la littérature, et c’est aussi pour ça que j’ai fait mon blog. Lorsqu’on parle de racisme, qu’on dit que le racisme, c’est de l’ignorance, si la personne lit quelqu’un qui lui explique ce qu’est le racisme, elle ne peut pas dire qu’elle le savait pas, elle ne peut plus dire qu’elle est ignorante.
[...]
Journaliste : Du coup, est-ce qu’il y a une raison particulière de l’avoir choisi, ou c’est vraiment juste parce que c’est une phrase incroyable ?
Laura N. : Oui, c’est vraiment parce qu’elle correspond [...]. Quand j’ai commencé mon blog, c’était en 2013, en général les gens disaient, « mais la littérature, ça sert pas à grand chose, ce n’est pas politique ». Hors, tout livre, que ce soit un essai, que ce soit une fiction, c’est politique puisque ça propose une vision du monde. Donc, j’aimais l’idée en fait avec cette phrase de rappeler que de la même manière qu’il y a cet auteur qui a voulu dénoncer l’appartheid en utilisant la littérature, la littérature est une puissance et un pouvoir. C’est aussi pour ça. Et moi ça m’a inspirée donc, mon blog, avant de parler d'afro féminisme, parlait de la diversité des littératures noires. Et je trouvais que cette phrase résumait parfaitement bien pourquoi il est important de laisser des traces ; de laisser des textes, de laisser justement, que ce soit même des interviews, que ce soit des romans ou des poèmes, on raconte des histoires afin qu’elles soient transmises, et pour que justement, par la transmission, il n’y ait plus d’ignorance, et donc qu’il n’y ait plus, peut-être, un jour, de racisme.
Journaliste : Et donc, pourquoi avez-vous choisi d’appeler votre blog Mrs. Roots ?
Laura N. : [...] Ma mère est martiniquaise, mon père est congolais, et je suis née à Orléans. Donc, quand j’allais en Martinique, on me disait : « t’es pas martiniquaise puisque tu est née dans l’hexagone », quand j’allais au Congo, on me disait : « tu n’es pas congolaise parce que tu est née en France », et en France on me disait « rentre chez toi ». Donc j’avais l’impression un peu d’être dans cet espèce de triangle où en fait dans mon identité, tout le monde voulait me mettre dans des cases qui ne me correspondaient pas, et puis je me suis dit : « je suis la seule à pouvoir me définir, je suis la seule à savoir quelle est la place de mes origines par rapport à mon identité ».
Journaliste: Vous êtes écrivaine et blogueuse, et « dangereusement » afroféministe, selon ce qui est écrit dans votre blog. [...] Pourquoi avoir mis « dangereusement » ?
Laura N. : Parce que c’est vrai que l'afro féminisme, qui est un mouvement pour l’égalité des droits des femmes noires, a fait beaucoup parler de lui et a beaucoup effrayé en France justement. [...] Il y a eu toute une réponse à la fois sexiste et raciste, parce que dès qu’une femme noire prend la parole et est engagée sur la scène politique, elle va recevoir pas mal de discriminations pour juste prendre la parole. Comme si on était dangereuses, du fait de simplement nous exprimer. Donc c’est pour ça que je me suis amusée un peu avec ironie à dire que j'étais dangereusement afroféministe.
donc, le mot « origines », en anglais c’est « roots », et c’était aussi une de mes oeuvres préférées, qui s’appelait « Racines » par Alex Haley. Donc j’ai pris le « roots », et j’ai rajouté le « Mrs », parce que voilà, c’était moi. Et je pensais pas, quand on ouvre un blog, on se dit pas forcément que les gens vont le lire, je voulais juste avoir un espace où en fait, je pourrais m’exprimer. Et des années plus tard il a été vu par des milliers et des centaines de milliers de personnes.
Journaliste : [...] Au fait, vous vous définissez comment du coup ?
Laura N. : Alors, aujourd’hui, je me décris comme une femme afrodescendante française. Alors pourquoi afro-descendante ? Parce que ça prend justement toute la complexité de mes origines et aussi toute leur richesse, et ça me replace aussi dans une diaspora. C’est à dire que quand je rencontre ici des afro-brésiliens, on a aussi pas mal de choses en commun en tant qu’afro-descendants, c’est qu’on partage aussi un héritage commun. Et française parce que ça situe aussi d’où je viens. Je suis une orléanaise. Et j’ai ouvert ce blog j’avais vingt ans ; et c’est surtout parce que je n’arrêtais pas de trouver des textes de personnes afro-américaines ou de personnes antillaises, mais des textes de femmes qui racontent leur expérience comme étant des femmes noires nées dans l’hexagone et ayant cette expérience là, je n’en trouvais pas. Alors qu’on existe: il y a ma soeur, il y a ma mère, enfin on est plein de femmes noires dans la France hexagonale ! Donc c’est comme ça en fait que j’ai commencé et après à vingt ans je me suis dit « non mais c’est pas normal que j’ai autant de bouquins sur les histoires des autres et pas sur des gens qui me ressemblent”.
Journaliste : Et c’est à ce moment là que vous avez commencé à écrire ou vous écriviez avant ?
Laura N. : J’écrivais déjà avant. J’ai écrit mon premier roman à 12 ans, il n’est pas sorti heureusement. J’ai commencé à écrire des romans, mais c’était vraiment une passion, je me suis jamais dit « plus tard je serais auteure ». Pas du tout. Je pensais que c’était pas possible en fait, parce que je voyais pas justement de femmes noires, nées dans l’hexagone comme moi, dans les médias. Quand on présentait des auteurs, il y avait très peu de femmes noires, et quand il y en avait, c’était surtout des antillaises, donc qui racontaient une vie dans les Caraïbes - qui était celle de ma mère mais pas la mienne - et rien qui ne me ressemblait vraiment. Je n’osais pas me dire que c’était possible. Et donc le blog c’était aussi une manière je pense de prendre de la place. De me dire « ma voix elle peut être publique au moins sur un blog, à défaut d’être publiée dans un livre ».
Journaliste : En fait quand vous aviez 12 ans vous vous disiez qu’il n’y avait pas moyen que ça aille plus loin ?
Laura N. : Oui. Exactement.
Journaliste : C’était juste un passe-temps en fait.
Laura N. : C’était vraiment un passe-temps, et j’y passais beaucoup de temps en plus. Je passais parfois des nuits entières à écrire, j’adorais ça. J’avais l’impression de vivre des séries à l’écrit, dans mes univers. Mais après voilà, c’était à moi. Alors parfois, je le partageais avec des amis, qui écrivaient aussi. On s’échangeait nos textes, mais je n’imaginais pas que ça pourrait être une carrière. Et puis il y a aussi le fait qu’en général quand vous dites « je veux devenir artiste » on vous dit « c’est pas vraiment un travail être artiste », etc. Tout ça faisait que je ne pouvais pas imaginer que tout ça pourrait vraiment être une carrière.
Ici s'achève donc notre extrait. Suit une critique d'une trilogie écrite par Laura Nsafou en 2023, "Nos jours brûlés".
Dans un monde futuriste, en 2049, Elikia, 19 ans, vit sans avoir jamais connu le soleil. L’astre du jour a disparu depuis des années et l’avènement de la Grande Nuit a changé du tout au tout le quotidien des humains : la lumière est devenue la ressource la plus précieuse, s’éloigner des villes est comme signer son arrêt de mort et la misère règne dans ce monde déchu. Par ailleurs, des créatures obscures rôdent dans la nuit, des êtres aliénés apparus avec la disparition du soleil. Toute sa vie, Elikia a suivi sa mère, Diba, qui, convaincue que l’astre du jour est là quelque part, attendant qu’on le retrouve. Elle s’est lancée sur la seule piste qui semble plausible : la disparition du soleil serait liée au le massacre de Juddu, une véritable cité cachée dans le massif de l’Adamaoua, qui aurait abrité des êtres magiques dotés de pouvoirs et des esprits ayant trait au divin. Très vite, Elikia reprend la quête désespérée de sa mère : le soleil doit être retrouvé, elle doit sortir ce monde de l’ombre. Évoluant à présent dans un monde tout neuf et auquel elle est étrangère, elle se lance dans cette aventure presque à l’aveuglette.
Cette trilogie, passionnante et très bien écrite, retrace donc le parcours de vie d’Elikia, un personnage secondaire dans l’histoire de la gloire d’une autre, et de comment elle va évoluer lorsqu’elle est confrontée à des situations toujours plus traumatisantes. Elle aura des moments de force et d’espoir, mais aussi de peur, d’une crainte profondément ancrée en elle, effrayée à l’idée de blesser ceux qu’elle aime. Elle se sentira inutile, indispensable, heureuse, triste, confiante, émue, paralysée de peur. Elikia est confrontée pendant toute l’histoire à ses propres émotions et à comment elles affectent le monde et les gens autour d’elle. Toute cette belle représentation duspectre émotionnel humain se soldera par la construction d’une jeune femme réelle, d’un personnage proche de ses lecteurs, logique et illogique à la fois.
Seul accroc, j’ai personnellement trouvé que la fin n’était pas vraiment satisfaisante, peut-être développée un peu trop vite. Le rythme narratif s’est accéléré de manière inexpliquée et on passe en dix pages du développement à l’épilogue. Les personnages y accomplissent également des exploits qui étaient complètement impensables quelques pages plus tôt. Mais globalement, ces trois romans forment une trilogie qui mérite d’être lue et dûment appréciée. Laura Nsafou sait représenter une diaspora comme personne et au fil des pages, on évolue dans un ensemble de petits bouts de plusieurs cultures de matrice africaine.
Pour finir, une petite citation qui vaut la peine d’être relevée:
“A chaque instant, nous devions nous forger nos propres lueurs d’espoir”.
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