Le proviseur cède le ballon
Le proviseur cède le ballon
Vahina Alliat Dupâquier, 3e1
Lola Bouveresse, 6e1
Théa Poilpré, 5e2
Victor Irrmann est arrivé au Lycée Molière en tant que proviseur en 2021, et a été à la tête de l’établissement pendant les quatre dernières années. Il est proviseur depuis presque 20 ans maintenant et avant d’être directeur d’établissement, il a été professeur d’Histoire-Géographie pendant 15 ans. Il a travaillé tout au long de sa vie dans des lycées français du monde entier, comme à Madrid, à Johannesburg et à présent il achève son séjour à Rio de Janeiro. Nous vous mettons en lien une interview de lui qui a été faite par la première vague de journalistes du Lièrmo en 2021, à son arrivée au Lycée Molière, et à la suite une interview de lui réalisée juste avant son départ, en juin 2025:
Journaliste: D’abord on voulait vous demander... Qu'est-ce que vous avez pensé de votre expérience au Brésil en général?
Mr. Irrmann: Comme beaucoup, je suis tombé sous le charme d'un pays absolument magnifique. Et avec des habitants d'une gentillesse et d'une solidarité qui est absolument remarquable. Je pense que je suis arrivé avec des certitudes d'Européen, c'est-à-dire que j'ai essentiellement vécu en Europe. Mais je repars avec des certitudes brésiliennes. C'est-à-dire que je pense que ceux qui ont raison, ce sont les Brésiliens. Parce que, et vous le vivez aussi j'espère tous les jours, la solidarité, l'entraide, la gentillesse, le respect qui existent ici sont remarquables. Bien sûr, il reste des exceptions parfois dramatiques. Mai malgré le fait que les inégalités économiques sont immenses puisque c'est une des sociétés les plus inégalitaires au monde, le Brésil, malgré ça, c'est remarquable. Donc déjà, au niveau de la population, c'est super. Et puis après, quel pays. C'est immense, c'est magnifique. Il y a des plages, il y a tout en fait pour être heureux ici. Donc c'est vraiment extraordinaire.
Journaliste: Et où est-ce que vous allez maintenant ?
Journaliste: Selon vous, quels ont été vos plus grands accomplissements au lycée pendant que vous travailliez ici ?
Mr. Irrmann: Oh bah là, les plus grands accomplissements, c'est d'avoir employé Madame Beurel (rires). On a beaucoup travaillé. D'abord, ce n'est pas mes accomplissements, ça c'est très important. Le proviseur tout seul, il ne peut rien faire. C'est très important à dire. On est vraiment sur du travail d'équipe, qui se voit peut-être pas parce que, vous, vous êtes élèves. Vous nous voyez sur nos missions avec vous, mais entre adultes on avance ici tous ensemble. Parce que moi tout seul, je ne peux rien. C'est donc effectivement d'abord au niveau des recrutements qu'on s’est beaucoup professionnalisés, avec la recherche des meilleurs professionnels à tous les niveaux. Ça a été une énorme avancée. La deuxième avancée que vous situez peut-être encore moins concerne le comité de gestion. C'est que nous sommes gérés par un commité de gestion qui s'appelle la SFBE. Et c'est des avancées immenses qu'on a fait avec le président Patrick Sabatier sur la gouvernance du lycée. Ça c'était très important. Donc encore une fois pour les élèves, c'est des choses que vous ne percevez pas. Et c'est tant mieux, ça veut dire que ça se passe bien, mais on a immensément avancé pour le bien du lycée. Donc ça c'est formidable. Vous dire ensuite, sur les plus grands accomplissements, peut-être - il y en a beaucoup - mais peut-être sur l’école inclusive, c'est-à-dire à l'accueil des élèves à besoin éducatifs particuliers, où on a beaucoup travaillé aussi, où on a beaucoup avancé. Voilà, il y en a plein d'autres, bien sûr, mais c'est peut-être ça les majeurs.
Journaliste: Qu'est-ce qui vous manquera en partant ?
Mr. Irrmann: Un petit peu tout. Je pars avec "saudade", parce que, comme je vous disais tout à l'heure, avec mon épouse, on s'est attaché en cinq ans, on a adoré vivre ici. On adore la façon de vivre. Enfin, je vais pas vous redire tout ce que j'ai dit tout à l'heure. Donc il y a beaucoup de choses qui vont me manquer, et puis bien sûr, mes élèves et tous les personnels. Parce que pendant cinq ans, on vit des choses tellement intenses que quand on s'en va, c'est très dur. Donc, chaque fois, on a beau avoir l'habitude comme tous les personnels de direction, on est obligés de partir tous les 5 ans. Voilà, ça fait 20 ans que je fais ce métier, au lycée français de Madrid, après dans un collège près de Montpellier, là, maintenant, je vais partir d'ici, et chaque fois c'est un vrai déchirement parce que c'est très compliqué. Mais comme je vous disais tout à l'heure, on rebascule très vite. Je vais partir, là, au 31 juillet. Officiellement, le 31 juillet je ne suis plus proviseur de ce lycée et le 1er août, je deviens le proviseur de Milan. Donc, j'ai tout juste le temps, une petite nuit de sommeil pour basculer sur de nouvelles responsabilités, de nouveau rencontrer des personnels très engagés, des supers élèves, comme vous ici. Et du coup, ça repart.
Journaliste: Alors, tout à l'heure, vous parliez de vos élèves. Qu'est-ce que vous voulez leur souhaiter pour le futur?
Mr. Irrmann: Comme je le dis à chaque fois, tous le personnel ici, du lycée, quand on se lève, on se lève que pour une seule chose : c'est pour assurer votre réussite. Et ce qui est magnifique, c'est que vous êtes 900, que vous allez tous réussir, mais vous allez tous réussir de manière différente, parce que vous êtes tous différents. Et c'est ce qui fait la richesse de nos établissements. Et pour le coup, ce qu'on souhaite c'est de vous accompagner. Bien sûr, c'est la réussite, encore une fois, de vous toutes et tous. Et on va y arriver. Vous me donnez l'occasion, peut-être une des dernières fois, de le redire, un discours que tout le monde connaît par cœur. Mais dans ce lycée, on est excellents. L'excellence, c'est ça. C'est de faire réussir 100% de nos élèves. Je vais prendre un exemple très concret. L'an dernier, il y a un élève qui n'a pas eu le bac, mais il est quand même en réussite. C'est pas grave. Donc faire réussir tout le monde, c'est accompagner tout le monde sur son chemin de la réussite. C'est ça, l'excellence. Il y a des lycées où c'est plutôt l'élitisme. L'élitisme, c'est si tu n'es pas bon à l'école, tu peux plus rester avec nous, tu vas chercher une autre école. Nous, ici, on fait pas ça. On garde tous nos élèves jusqu'à la fin et on les fait réussir. Voilà. Donc ce que je souhaite à tous les élèves dont je sais que ça va être une réussite, c'est que vous allez tous réussir à votre façon.
Journaliste: Quel est le pays dans lequel vous avez préféré exercer ?
Mr. Irrmann: Ça pareil, c'est une question difficile. Là, j'ai envie de répondre quand même le Brésil (rires). Mais j'ai adoré aussi vivre à Madrid, en Espagne. Franchement, je dois avouer que le Brésil - parce que c'est loin - c’est quand même une destination formidable. J'ai aussi travaillé en Afrique du Sud, dans un lycée qui était aussi très loin de la France. Mais si je devais faire un classement, même si c'est pas bien de faire des classements et puis, là, c'est un petit peu aussi sous le coup de l'émotion parce que je vais partir, le Brésil reste quand même je pense une destination numéro une. D'ailleurs, je pense, peut-être que les élèves dans dix ans ou dans douze ans me recroiseront à Rio de Janeiro. Parce qu’avec mon épouse, on a bien pour ambition quand on sera à la retraite de venir passer quelques mois au chaud à Rio quand il fait froid en Europe. Donc peut-être dans dix, quinze ans, vous me recroiserez, j’aurais repris un petit coup de vieux. Mais bon, vous pourrez m’inviter à boire une petite bière, ce serait un plaisir.
Journaliste: Pourquoi est-ce que le proviseur doit changer d’établissement tous les cinq ans?
Mr. Irrmann: C'est parce que c'est un contrat que nous signons et c'est une bonne chose. C'est-à-dire, c'est dur de partir. Cinq ans, c'est bien. Parce que si je devais rester plus, après on ne part plus du tout. Et dans nos métiers, ce qui est très intéressant, c'est d'arriver dans un lycée comme je vous disais tout à l'heure, de voir comment il fonctionne, de s'enrichir de choses qu'on n'a jamais vues. Par exemple, actuellement, on vit la semaine des arts. C'est complètement extraordinaire. Je l'avais jamais vécu dans aucun autre lycée. Très certainement, quand je vais arriver à Milan, s'ils n'ont pas ce dispositif en place, je leur dirais ce qu'on pourrait faire, parce que je l'ai vécu dans ce lycée. Donc, l'idée c'est de s'enrichir de ce qui existe ici qu'on n'a jamais vu. C'est, moi, d'apporter mon expérience professionnelle à tout le monde. On enrichit le lycée, on s'enrichit personnellement. Et au bout de cinq ans c'est bien, parce qu'on a beaucoup travaillé, on a bien avancé. Et puis vous verrez, quand vous serez plus grands, dans 90% des cas ça se passe super bien. Puis il y a des petites tensions aussi, parfois, qui peuvent s'installer. C'est normal, avec certaines familles, avec certains personnels aussi, ça peut arriver. Donc si je restais, ce sont des choses qui ne pourraient plus avancer. Donc c'est bien de changer d'interlocuteur pour continuer à avancer. Et M. Mergnat qui est le futur proviseur qui sera à ma place dans quelques semaines maintenant va arriver de nouveau avec son expérience. Il va être très étonné de voir beaucoup de choses ici, etc. Il va apporter son expérience. Il va s'enrichir. Et puis dans 5 ans, il repartira. Et puis voilà, vous verrez, ça se passe très bien. Ce qui est très important à dire, c'est qu'en fait, on est dans la continuité. Les proviseurs, ils passent. Mais pour le coup, M. Mergnat, quand il arrivera, il sera vraiment au courant de tout ce qui se passe, puisque je suis déjà au travail avec lui. Et depuis plusieurs semaines, maintenant, on se voit en réunion via Zoom. Et on va même se voir en vrai, à Paris, où on parlera du lycée. C'est-à-dire que quand il va arriver, il saura déjà beaucoup, beaucoup de choses et l'essentiel sur notre lycée.
Journaliste: Qu'est-ce que vous pensez de la politique de l'AEFE?
Mr. Irrmann: C'est quelque chose de très fort ce qu'on a là. La France a mis en place le plus grand réseau au monde d'éducation. Aucun pays n'a un réseau comme le nôtre, c'est-à-dire qu'on a nos 600 lycées dans le monde entier. C'est unique au monde. A Rio, vous savez, il y a des écoles anglaises et il y a des écoles américaines, mais elles ne sont pas un réseau comme nous. C'est des écoles, c'est des financiers qui montent ces écoles-là, qui disent "tiens, je vais monter une école pour faire de l'argent, etc". Là, nous, ici, sur le réseau AEFE, on est sur un réseau unique dans le monde entier. Ça, c'est très important. Où on a une qualité d'enseignement qui est identique. C'est-à-dire que si demain, vous voulez aller travailler dans un autre lycée, en Asie par exemple, c'est exactement les mêmes programmes, c'est exactement les mêmes contenus, c'est unique au monde. Donc ça, déjà, c'est vraiment exceptionnel. La deuxième chose qui est très importante est que, hélas, beaucoup de politique ne nous voient plus, c'est qu'on fait ce qu'on appelle du soft power, de la politique d'influence. Parce que beaucoup de nos élèves, et vous en ferez certainement partie, comme je vous parlais tout à l'heure d'excellence, de réussite, beaucoup de nos élèves vont souvent être à des postes responsabilités dans leur vie professionnelle. Et ce qu'on développe chez tous nos élèves aussi, c'est une certaine façon de penser, une certaine façon de voir les choses. Et au moment de faire des choix, vous pencherez sur la façon de voir qu'à la France, plutôt que la façon de voir qu'ont d'autres pays qui sont peut-être un petit peu moins à recommander en ce moment. Ou alors, très concrètement, je suis décisionnaire, je dois passer une commande. J'ai une commande chinoise ou d'autres pays, j'ai une commande française. Comme j'ai été élève dans un lycée français, je me dis "bah, moi je vais choisir la France". Voilà. Donc ça c'est aussi extrêmement important. Et puis d'importer à tous nos élèves - et je pense notamment aux élèves brésiliens ici - cette façon qu'on a, qui est assez unique au monde. Notre système éducatif est assez unique sur tout ce qui est notre pensée critique, sur tout ce qui est analyse. On est toujours en train de réfléchir, en train d'avoir un esprit critique, sur tout qu'on vous présente. On est sur la rédaction, on écrit beaucoup. On est loin des QCM, comme on a dans beaucoup d'autres pays. Nous, ici, on apprend à réfléchir. Je ne dis pas que dans d'autres systèmes, on n’apprend pas à réfléchir, bien sûr, aussi. Mais ici, c'est vraiment très développé.
Journaliste: Et tout à l'heure, vous parliez du réseau entre beaucoup de pays. Et ce réseau, c'est la France qui l'a créée?
Mr. Irrmann: Oui, absolument. C'est le ministère des Affaires étrangères qui a créé une agence, l'AEFE. Donc vous avez des professeurs qui viennent de France, qui sont des professeurs qu'on appelle des détachés, c'est-à-dire qui ont le diplôme de professeurs et qui sont détachés de l'Education nationale vers le ministère des Affaires étrangères pour travailler ici et vous apporter le même contenu que n'importe quel élève en France.
Journaliste: Est-ce que vous auriez un mot de la fin ?
Mr. Irrmann: Un mot de la fin... je crois que j'ai dit beaucoup de choses. J'ai été en tout cas très honoré, très heureux de piloter ce lycée qui est extrêmement attachant, qui est très particulier. Et comme je le dis à chaque fois, voilà, voir le bonheur, je crois qu'on est tous d'accord. Il y a des moments où peut-être il y a quelques petites tensions. Mais franchement, ce que je retiens de ma mission, c'est que le bien-vivre ensemble, le bien-être est vraiment très bien installé au lycée. Et moi, ce que je vois vraiment très très très majoritairement sont des élèves heureux et qui s'épanouissent bien. Et c'est ça notre métier, en fait. Je suis très content d'avoir participé pendant cinq petites années à ce pilotage de ce lycée qui existe depuis maintenant pratiquement 45 ans. Donc je dois être le huitième ou neuvième proviseur à diriger et puis c'est bien chacun on amène notre petite brique à l'édifice. En tout cas, c'était un vrai plaisir et une vraie fierté.
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