Mouvements de jeunesse: quand la Gen Z se mobilise
Mouvements de jeunesse: quand la Gen Z se mobilise
Vahina Alliat Dupâquier, 3e1
Népal, Indonésie, Maroc, Madagascar, Kenya, Philippines… les jeunes des pays asiatiques et africains se réunissent dans les rues pour protester pour des questions politiques.
Cette génération, dite “Gen Z” (en référence au terme zoomers, la génération née pendant l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, soit entre 1997 et 2012), souvent considérée comme la flemmarde de service, se soulève partout dans le monde et plus particulièrement en Afrique et en Asie. Ces protestations générationnelles sans précédent marquent le monde par leur efficacité inattendue : au Népal, le Parlement est brûlé et une nouvelle Première ministre est élue en quelques jours via Discord, à Madagascar, le gouvernement est renvoyé et au Maroc, les protestations contre les inégalités sociales poursuivent leurs routes semées d'embûches. Il s’agit de mouvements particuliers à chaque pays mais qui s’inscrivent globalement dans une vague de protestations contre la précarité sociale et économique, et qui passe à travers les réseaux, caractéristique inédite de cette nouvelle manière de protester.
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| Dessin d'Adélaïde Caurette (2e3) |
Pour commencer, parlons du Népal et de l’avancée surréaliste des protestations. D’abord, un peu de contexte : on parle d’un des pays les plus pauvres du monde, avec un IDH¹ (Indice du Développement humain) de 0,601 points, soit la 147e place du classement sur 193 pays. L’instabilité politique est très forte et quatorze premiers ministres se sont succédés au pouvoir en dix-sept ans. Le dernier parmi eux, Khadga Prasad Sharma Oli, était chef du gouvernement depuis le 15 juillet 2024. Le Népal a changé de régime politique (passant d’une monarchie constitutionnelle à une république fédérale) en 2008, mais rien n’a réellement changé pour la population menant à de fortes inégalités, la continuation de la corruption et du népotisme au sein du gouvernement, un faible développement économique, des services publics défaillants et une faible infrastructure. Ainsi, des millions de Népalais ont quitté le pays pour aller travailler (dans de mauvaises conditions) au Qatar, aux Emirats Arabes Unis, en Malaisie et en Inde.
L’âge moyen de la population népalaise (23 ans) joue un rôle important dans l’histoire puisque 40% des népalais appartiennent à la génération Z et prennent part aux protestations lorsque, le 4 septembre 2025, le gouvernement met en place une interdiction de l’utilisation des réseaux sociaux. Facebook, X, Youtube, Linkedin, Reddit, Signal et Snapchat sont coupés partout sur le territoire et cette mesure attire l’attention de la population. Ainsi, dès le 8 septembre, des manifestations ont lieu à Katmandou, la capitale, et principalement autour du Parlement, réunissant plusieurs dizaines de milliers de participants. Les manifestants tentent d’entrer dans le bâtiment et la police répond avec l’utilisation de bombes lacrymogènes, de canons à eau, de balles en caoutchouc et de balles réelles. 19 personnes sont mortes, 400 blessées. Le ministre de l’Intérieur démissionne, l’interdiction des réseaux sociaux est levée mais un couvre-feu est instauré dans plusieurs villes, notamment Katmandou, Birganj, Bhairahawa, Butwal, Pokhara, Itahari et Damak.
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| Dessin de Carolina Clara Corrêa Maia Ducamp (2e3) |
Le lendemain, la violence explose. Les maisons de plusieurs ministres sont incendiées, le siège du parti communiste népalais et le bâtiment du Congrès sont vandalisés et des drapeaux du parti sont brûlés. Le Parlement part en flammes et des images vidéo montrent que les membres du gouvernement ont dû s’en échapper en hélicoptère. Les manifestants réclament la fin de la corruption systémique du gouvernement, le népotisme² en utilisant les hashtags #NepoKid ou #NepoBaby. Ils dénoncent les privilèges de la classe politique et de la famille des dirigeants et les inégalités sociales qui se creusent dans leur pays, ainsi que des problèmes plus généraux de gouvernance, de transparence et de responsabilité politique. Le ministre de la santé et le ministre de l’Agriculture démissionnent, suivis par ni plus ni moins que 21 députés. Quelques heures plus tard, c’est le tour du Premier ministre Oli de suivre le mouvement mais les manifestations se poursuivent toujours dans tout le pays. Des bâtiments liés au gouvernement subissent également des attaques et la maison du président est notamment incendiée. Les protestations se poursuivent vers l’aéroport international pour empêcher les anciens dirigeants de fuir. Les détenus de la prison de Kailali s’enfuient suite à une attaque de la prison par les manifestants.
Le 10 septembre, les attaques aux bâtiments gouvernementaux continuent et l’armée patrouille dans les rues pour tenter de ramener la paix, sans succès. Le 11, une réunion se tient visant à choisir un chef intérimaire. Selon des sources, les manifestants de la Gen Z tentent de promouvoir l’ancienne juge en chef, Sushila Karki, et le maire de Katmandou, Balendra Shah, entre autres. Le lendemain, Sushila Karki est élue Première ministre par intérim, et c’est la première femme jamais élue à ce poste-là, une avancée soudaine et inattendue pour un pays encore fortement marqué par le patriarcat. De plus, autre fait surréaliste : elle aurait été choisie par les manifestants comme nouvelle Première Ministre à travers des débats et des sondages sur… Discord³, la plateforme le plus souvent utilisée pour les jeux-vidéo. C’est une première dans l’Histoire et une différence radicale de cette élection avec tout ce qui avait déjà eu lieu, en réalisant la première élection sur les réseaux sociaux.
Le couvre-feu est levé dans les jours qui viennent et le bilan final est de 72 morts, dont 59 manifestants. Ainsi, en l’espace d’une semaine, la génération la plus jeune a réussi, au Népal, a changé le cours de l’Histoire en élisant une femme au poste de Première ministre et, même si les revendications les plus importantes n’ont pas encore été accordées, les manifestants ont obtenu la démission du gouvernement et l’élection d’un gouvernement par intérim.
En Indonésie, des mouvements de la génération Z émergent en juillet-août 2025, pour protester contre les augmentations salariales des législateurs et la hausse d’impôts. Les manifestations s’intensifient lorsqu’un chauffeur de camion meurt écrasé par un véhicule de la police. Les réponses du gouvernement face aux revendications sont frustrantes pour les manifestants, comme le dit Titi Anggraini, enseignante du droit constitutionnel à l’Université d’Indonésie et membre de l’association Perludem citée par le Parisien matin: “Beaucoup de responsables se sont montrés sur la défensive et n’ont pas reconnu leurs erreurs. Le Parlement et les partis devraient représenter les aspirations des citoyens, pas alimenter la frustration. Certains ont présenté des excuses et promis des changements, mais ces promesses ne se traduisent pas par des actes concrets, comme l’adoption de nouvelles réglementations ou politiques.” Elle dénonce l’éloignement du Parlement et des représentants du peuple de celui-ci.
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| Dessin d'Adélaïde Caurette (2e3) |
La mobilisation commence avec la proposition d’une loi pour augmenter de 250% les taxes foncières et immobilières alors que, selon le site du Secours populaire français, près d’un indonésien sur deux vit avec moins de deux dollars par jour. Près de 100 000 jeunes sont dans les rues et conduisent des manifestations dans plusieurs villes, comme Jakarta et Makassar. Un des symboles utilisés est notamment le drapeau pirate extrait de la série de mangas japonaise One piece, interprété comme un symbole de la quête de liberté et la rébellion contre les régimes oppressifs pour protester contre le gouvernement. Face à la pression sociale, le projet de loi a été abandonné, mais la répression a été forte, avec un bilan de 10 morts et d’un millier d’arrestations. Des tentatives de blocage des réseaux sociaux ont aussi mené à une galvanisation des manifestants.
A Madagascar, la jeunesse manifeste pour la fin des coupures d’eau et d’électricité devenues récurrentes. Depuis fin 2024, à Antanarivo (la capitale), la population fait face à des restrictions liées à l’utilisation de l’électricité et de l’eau et à des coupures. Miendrika Razanaharijafy, habitante de la ville, déclare, citée par Le Monde: “l’électricité, on peut s’en passer, mais l’eau c’est la vie.”. Ainsi, les populations les plus pauvres sont les plus touchées par la pénurie d’eau. Miendrika raconte, toujours à Le Monde, que sa maison n’a pas d’accès à l’eau potable et que pour en obtenir habituellement, il faut marcher environ 100 mètres jusqu’à la fontaine publique. Petit accroc : celles-ci sont désormais à sec. Acheter de l’eau n’est pas envisageable, puisque chaque gallon coûte entre 60 et 80 centimes d’euros, un prix tout sauf abordable pour les plus démunis. De plus, en 2023, 8 malgaches sur 10 se retrouvaient en situation d’extrême pauvreté. Toujours selon un article de Le Monde, “il est peu probable que [les contestations qui ont eu lieu à l’époque] se généralisent”. Ce sont les mots du professeur Jeannot Rasoloarison, spécialiste de l’histoire contemporaine de Madagascar à l’époque de la publication de l’article, en novembre 2024.
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| Dessin de Carolina Clara Corrêa Maia Ducamp (2e3) |
“Depuis quelques années, le régime en place a tout fait pour interdire toute forme de manifestations, qu’elles soient à caractère politique ou social. Les forces de défense et de sécurité agissent très vite lorsqu’elles ont vent d’une manifestation. L’objectif est d’empêcher les citoyens d’exprimer librement leurs idées”, déclare-t-il encore. Ainsi, les mouvements de la Gen z à Madagascar ont commencé pour protester contre les coupures d’eau et d’électricité intenables partout dans la pays, dues à une baisse du niveau des barrages hydroélectriques en période de sécheresse. Organisés par des jeunes, en particulier par les étudiants, ces mouvements se sont rapidement élargis pour s’inscrire dans le contexte des mouvements de la Gen Z en Afrique et en Asie, en rejoignant le Népal et l’Indonésie, mais aussi le Sri Lanka et les Philippines, pour réclamer la lutte contre la corruption, pour la transparence, la responsabilité gouvernementale. Mais aussi pour la démission du président Andry Rajoelina et du gouvernement de Christian Ntsay. Les manifestations sont violemment réprimées, causant 22 morts dont des jeunes manifestants et un député. Le président répond aux revendications en nommant un nouveau premier ministre, Ruphin Zafisambo, le 6 octobre 2025, mais cela ne fait que frustrer encore plus les manifestants. Michael, un jeune interne en médecine participant aux manifestations, interviewé par France 24 le 9 octobre, déclare : “Un nouveau premier ministre! C’est pas un nouveau premier ministre qu’on veut, c’est un changement de système. Est-ce que le premier ministre va descendre ici soigner les malgaches? Non! Qu’est-ce qu’il va faire en six mois? Il va revaloriser nos salaires? Bon, on attend de voir s’il ne saute pas avant.” Le 8 octobre, le président propose une réunion pour trouver un compromis, mais l’invitation est refusée par la Gen Z : ils veulent un changement radical. Le collectif Mouvement Gen Z déclare: “On ne tend pas la main à un régime qui chaque jour écrase celles et ceux qui se lèvent pour la justice. Ce pouvoir parle de dialogue, mais il gouverne par les armes”. Le collectif exige la démission du président et a lancé un appel à une grève générale dans tout le pays si leurs revendications ne sont pas respectées.
Il y a encore dans beaucoup d’autres pays des mobilisations de la jeunesse et en particulier de cette génération Z mais nous avons fait un tour plus global et nous nous sommes concentrés sur les trois exemples vus : le Népal, l’Indonésie et Madagascar. A l’heure actuelle, ce dernier mouvement ne s’est pas terminé. Ainsi, gardez en tête que les actualités évoluent et que cet article ne sera peut-être plus à jour quand vous le lirez.
¹ L’indice de développemen humain (IDH) est calculé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour évaluer la qualité de vie dans chaque pays. Espérance de vie, niveau d’éducation et de revenus sont pris en compte dans son calcul.
² Fait de faciliter l’ascension au pouvoir pour des membres de sa famille ou des personnes proches.
³ Discord est une application gratuite qui permet de discuter en ligne par texte, voix ou vidéo. Elle est utilisée surtout par des communautés (joueurs, étudiants, groupes d’intérêt…) pour créer des serveurs avec des salons où l’on peut parler, partager des fichiers, écouter de la musique ou organiser des appels.




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